Nous continuons notre série de portraits avec Alexandre Munoz, spécialiste économique de l’espace méditerranéen et véritable amoureux d’ Aix-Marseille-Provence. Originaire de la région, il décide de s’y réinstaller après plusieurs expériences professionnelles en tant qu’expert en attractivité économique à l’étranger. Une fois de retour en France, il réalise qu’il manque à Marseille un événement international annuel lors duquel la ville durable méditerranéenne serait célébrée. Dans une logique de bloc euroméditerranéen, des représentants des pouvoirs publics des deux rives, des chercheurs, des entreprises, des bailleurs de fonds, des startups pourraient s’y rencontrer pour affirmer et réinventer le modèle de la région. Créer de la visibilité, des opportunités économiques et un rayonnement international à la ville de Marseille, voilà le projet d’Alexandre. C’est avec l’intention d’entamer l’organisation de cet événement qu’il a décidé de postuler à l’Académie. Particulièrement intrigué par son approche méditerranéenne, il y a trouvé de quoi consolider son idée et ses ambitions. Rencontre.
Bonjour Alexandre, pourrais-tu te présenter toi et ton projet pour les personnes qui ne te connaissent pas ?
Je m’appelle Alexandre, j’ai 38 ans, je suis né et j’ai grandi au sein de la Métropole Aix-Marseille-Provence. Étudiant à SciencesPo Aix, je me suis d’abord spécialisé en Affaires Internationales des Entreprises, puis dans le secteur des coopérations et relations économiques au sein de l’espace méditerranéen et du Moyen-Orient. Aujourd’hui je suis doctorant sur l’attractivité économique territoriale, et fonctionnaire territorial à la métropole Aix-Marseille-Provence. Cette appétence pour le territoire s’est imposée à la suite de stages réalisés à la ville de Marseille et chez Euroméditerranée, en lien avec des acteurs comme ANIMA et le FEMISE (réseaux euroméditerranéens), mais également après mes expériences professionnelles réalisées à l’étranger. J’ai en effet décroché mon premier poste en tant qu’attaché économique de France en Arabie Saoudite. Deux ans après, j’ai été recruté par le gouvernement des Emirats Arabes Unis pour, là-encore, travailler sur l’attractivité territoriale des zones franches à Ras al Khaïmah (à 40 km au nord de Dubaï). À l’époque, notre mission était de générer de l’attractivité pour ces espaces, auprès d'entreprises européennes.
Après mon escapade orientale, j’ai rejoint les équipes dédiées à la coopération économique autour du Centre pour l’Intégration Méditerranéen (CMI) à Marseille, en 2011. Là-bas, j’ai contribué à la conception et la mise en œuvre d’une étude à destination des jeunes méditerranéens sur leurs attentes, et sur leur insertion sociale. Nous étions alors au lendemain des Printemps arabe. Avec l’aide d’une économiste-statisticienne de l’INSEE, nous avons conçu un questionnaire et mené des entretiens auprès de 1000 jeunes étudiants de la région de Marrakech et de l’Atlas.
Par la suite, j’ai repris la route du Moyen-Orient et je me suis installé à Dubaï pour de nouveau me consacrer à l’attractivité économique des zones franches. Mais en 2016, j’ai décidé de revenir en France. Depuis, je travaille pour la Métropole Aix-Marseille-Provence, où nous œuvrons pour placer le territoire en tant que en hub euroméditerranéen. Marseille, en tant que deuxième ville de France, et historiquement tournée vers la Méditerranée, a le potentiel de se placer comme leader de la région sur les questions relatives aux villes méditerranéennes, particulièrement dans un contexte de changement climatique et d’adaptation écologique. “Dans un contexte méditerranéen, il manquait un événement sur la ville durable en Méditerranée, ses enjeux, sa construction, ses solutions”.
Peux-tu revenir sur les origines de ton projet? Comment est née ton idée ?
En travaillant au Moyen-Orient dans le design des stratégies et sur des missions opérationnelles. À Dubaï - hub portuaire, et aéroportuaire, extrêmement important -, la ville se place au carrefour des grands marchés mondiaux, et accueille de grands événements où sont rassemblés des décideurs économiques. J’ai donc connu cette mission de prospection sur le terrain. Au sein de la Métropole, je continue ces stratégies d’événements, en allant à la rencontre d’entreprises à Paris, mais également à Las Vegas lors du Consumer Electronic Show. Avec cette expertise, je me suis rendu compte qu’il manquait à Marseille, une ville qui se veut être hub méditerranéen, un événement annuel.
“Avec un événement phare clairement identifié, c’est le territoire lui-même qui devient incontournable.”
En 2021, la métropole d’Aix-Marseille a été retenue comme “Démonstrateur de la Ville Durable” dans le cadre de la stratégie France 2030. L’appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Démonstrateurs de la ville durable » visait la création d’un réseau national de démonstrateurs, à l’échelle d’îlots ou de quartiers, illustrant la diversité des enjeux de transition écologique et de développement durable des espaces urbains français. Il nous fallait donc proposer un modèle de renouvellement urbain: résidence climatique, matériaux durables, végétalisation de la voirie, aménagement par rapport au climat méditerranéen, nouvelles solutions d’irrigation, création de mixité verticale et résidentielle. À Marseille, ce sont 21 programmes sur l’ensemble du territoire Aix-Marseille qui ont été lancés, pour un montant de trois milliards d’euros d’investissement sur les 10 ans à venir. L’opération s'insérait également dans une optique de renouvellement urbain euroméditerranée.
Grâce à ce Démonstrateur, j’estime que le territoire d’Aix-Marseille a la capacité d’accueillir un événement sur les questions de l’aménagement de la ville durable lors duquel tous les opérateurs méditerranéens, les aménageurs, les chercheurs, les promoteurs, les investisseurs, seraient réunis. Mais au-delà d’être une ville durable, Marseille est également une ville côtière. En tant que telle, elle présente des particularités en termes de topologie urbaine, de changement climatique, d’activité économique, de qualité de vie, et de résilience écologique qui soulèvent encore d’autres défis. La question portuaire doit donc faire partie intégrante du projet.
Avec le programme, tu as pu suivre des cours en ligne sur les enjeux de la région, mais aussi suivre des coaching pour ton projet. Comment l’Académie a-t-elle influencé ton projet?
Les travaux avec Martin Serralta sur la raison d'être m’ont montré qu’il était nécessaire que je fasse une distinction entre la motivation et l'objectif de mon projet. En essayant de faire la synthèse de deux objectifs distincts, le produit ne pouvait pas aboutir. Mon projet avait-il comme ambition de renforcer l’attractivité de Marseille, ou de promouvoir la ville durable en Méditerranée ? Avec l’aide de Martin, j’ai réalisé que mon projet était fondé sur Marseille, et non sur la ville durable. Cette précision a marqué un tournant dans l’élaboration de mon projet.
“La raison d’être de mon projet c’est cette volonté de créer un événement phare à Marseille, dans une logique euroméditerranée.”
Avec le coach de Minassa, Yassine Abrous, j’ai pu déterminer l’atout différentiel du territoire par rapport à d’autres. Par exemple, la connectivité de Marseille. Avec quatorze câbles numériques sous-marins, la ville se positionne dans les cinq territoires les plus connectés au niveau mondial. Un autre enjeu soulevé par la connectivité, c’est l’empreinte écologique de celle-ci. L’interface ville-port par l’adaptabilité écologique et économique est un sujet à creuser en termes d’événements, et ainsi espérer positionner Marseille dans un secteur de niche.
Pourquoi as-tu décidé de candidater à ce programme? Quel a été l’élément qui t’a séduit dans l’Académie?
De par mes études, stages et expériences professionnelles, j’ai toujours baigné dans cette logique de coopération méditerranéenne dans laquelle je crois profondément. Je suis très réaliste sur le fait qu’il n’y aura pas de mondialisation utopiste et positive pour tout le monde, avec des flux et des échanges qui se régulent automatiquement. Je pense plutôt que nous verrons émerger des blocs régionaux. Dès lors, tout ce qui encourage une telle coopération régionale à l’échelle méditerranéenne, comme le fait l’Académie des Talents, ou l’AFD et StartupBRICS, est pertinent pour ma part.
Selon ton expérience personnelle, et au vue de ta participation à l’Académie, dirais-tu qu’il existe une identité méditerranéenne ?
Oui, elle existe et elle est partagée. Mais il existe encore une fracture nord - sud, avec un nord beaucoup plus privilégié en termes de niveau de vie, d’opportunités économiques, et de protection sociale. Prenons le Covid par exemple: la pandémie n'a pas été vécue de la même manière. Au Nord, nous avons pu bénéficier d’ États plus riches et plus interventionnistes qu’au Sud. Ces différences sont évidemment palpables au sein de la cohorte. Les Talents du Sud se retrouvent derrière certains enjeux dans lesquels les Talents du Nord ne se s’identifient pas.
Malgré cela, je crois en une identité méditerranéenne. Je pense que si les jeunesses européennes dans les années 50-60, ont pu se construire un corpus partagé, et créer une identité européenne, c’est parce qu’il y a eu des programmes comme Erasmus. Il faut adopter une stratégie similaire pour la région méditerranéenne en encourageant la mobilité en Méditerranée, et entre étudiants par exemple. Il faut assumer de financer des bourses, d’accorder des visas… C’est seulement ainsi que nous pourrons favoriser la consolidation d’un espace euroméditerranéen par sa jeunesse.
Nous nous approchons de la fin du programme, comment envisages-tu la suite?
J’espère que le groupe restera en contact et que nous pourrons créer une communauté à laquelle puissent d’identifier d’autres porteurs de projet méditerranéens. Il faudrait que les différentes cohortes entrent en contact et s'entraident afin que cette belle initiative perdure dans le temps. Malheureusement, la Méditerranée a trop souvent souffert d’initiatives ponctuelles que les pouvoirs publics ont abandonné. Bravo à l’AFD et à son Campus d’avoir pu lancer ce programme. L’enjeu désormais est d’assurer sa survie, et pour cela il faut que l'État français s'engage à financer sur le long-terme ce genre d’initiative. Cela pourrait se faire à travers le Centre pour l’Intégration Méditerranéen, de l’Union pour la Méditerranée, ou en collaboration avec les pays membres, ou les collectivités territoriales!
Il faut voir l’Académie comme une étape dans le parcours des Talents et espérer que nous puissions nous retrouver dans quelques années au sein d'événements comme EMERGING Valley ou EMERGING Méditerranée. J’ai hâte d’être à Tunis, en présentiel avec tout le monde.
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