Pour ce treizième épisode de notre série de portraits, nous rencontrons Saif Eddine Laalej. Saif Eddine a 25 ans, et avec lui nous avons parlé de sa passion pour les inventions à impact et de son parcours d’entrepreneur entamé très jeune. Dès l’âge de 13 ans, il crée une solution à destination des écoliers et dépose pour celle-ci son premier brevet d’invention. Cette expérience marque le commencement d’un parcours semé d'inventions à impact, de projets entrepreneuriaux et d’une recherche constante d’innover. Accompagné par une équipe de jeunes passionnés, Saif Eddine se consacre désormais à rendre ses inventions durables, accessibles au plus grand nombre et génératrices d’impact environnemental ! Profondément indigné par les quantités de déchets plastiques déversées dans certains villages du Maroc, son équipe et lui sont décidés à transformer un scandale écologique et sanitaire, en opportunités économiques et environnementales. À partir de déchets plastiques, Saif Eddine crée aujourd'hui des briques de construction destinées au secteur du bâtiment. Et malgré les doutes exprimés par son entourage et les difficultés techniques, son projet est en pleine expansion ! C’est dans ce contexte de passage à l’échelle que Saif a rejoint l’Académie. Séduit par l’approche méditerranéenne du programme, Saif y a trouvé des pairs capables de le soutenir, des intervenants en mesure de le guider dans sa stratégie de développement, et des connaissances sur la région qui lui permettent aujourd’hui d'envisager son expansion entre les deux rives.
Un inventeur en herbe
Dès l’âge de 13 ans, Saif Eddine rejoint le club scientifique de son école dans lequel il y découvre le monde entrepreneurial et la manière dont les technologies peuvent répondre à des problématiques sociétales. Autour de lui, il se rend compte qu’il en existe une de taille : le poids des cartables des collégiens. Il décide alors de créer un système de pesage qui identifie le poids maximal qu’un enfant peut porter sur son dos. À 14 ans, il dépose son premier brevet d’invention pour cette solution. Saif Eddine est alors le plus jeune Marocain détenteur d’un brevet et se découvre une véritable passion pour l’innovation à impact sociétal.
“Je suis devenu le plus jeune marocain dépositaire d’un brevet d’invention. “
Il suit de nombreux programmes pour jeunes entrepreneurs pendant sa scolarité, et finit par rejoindre Enactus à l’université de Tanger. La rencontre de ce réseau d'entrepreneurs l’invite à changer de regard vis-à-vis de ces inventions. Il découvre que ces créations peuvent être exploitées de manière durable et leur impact, gagner en amplitude.
Réinventer le traitement du plastique
En visite de terrain avec ses camarades de promo, Saif Eddine se retrouve nez à nez avec la triste réalité du traitement des déchets plastiques dans la région de Tanger. Les villages alentours sont les décharges de la grande ville et se retrouvent sous des amoncellements de détritus. Si les habitants voient dans la collecte et la revente du plastique, une manne économique, ils ne souffrent pas moins de cette pollution et d’une grande précarité.
À la même époque se tient au Maroc la COP 22, lors de laquelle le royaume lance le programme Zéro Plastique avec comme ambition de bannir les sacs plastiques. Saif Eddine salue l’initiative mais y voit une incompréhension du véritable problème de cette pollution. Car la majorité des déchets ne sont pas les sacs, mais l’ensemble des biens de consommation produits dans cette matière. Et pour ceux-là, la seule manière de les recycler, c’est le downcycling; c’est-à-dire, de transformer du plastique en plastique.
Saif Eddine, accompagné de Houda, Younes, Samah, Jad et Salma, décident alors d’inventer une solution durable à ce problème sociétal, global. Étant donné que le plastique a une durée de vie extrêmement longue (jusqu'à 400 ans !), pourquoi ne pas tirer profit de cette qualité ? C’est décidé, ils feront du plastique, des briques de construction !
Développement : les aléas du succès
Commence alors la concrétisation du projet. En 2016, l’idée est consolidée, et c’est en 2018 que leur prototype devient fonctionnel. Contre toute attente, le projet bénéficie soudainement d’un grand intérêt de la part de la presse nationale et internationale. Il se retrouve dans des magazines aux Etats-Unis, en France et même aux Philippines ! Survient alors ce que tout entrepreneur rêverait de voir se produire : leur carnet de commandes explose. Les gens adorent le projet et veulent recevoir des briques. Mais ce qui pourrait ressembler à un premier succès se révèle être un échec cuisant pour Saif et son équipe. Incapables de produire plus de 100 m² de brique par jour, ils se retrouvent dans l’impossibilité d’honorer leurs commandes. C’est la douche froide.
“Au tout début du projet, personne ne croyait en nous. On nous prenait pour des fous !”
Ils décident alors d’investir tout ce qu’ils peuvent dans la construction d’une unité de production adaptée. Après s'être installés dans un petit atelier à Tanger grâce à un financement de 3000 euros, ils décident en 2019 de partir à la recherche de financements plus conséquents. Les besoins sont clairs, il leur faut 500 000 euros. Là encore, l’équipe se heurte à un problème d’ampleur. Il n’existe pas de green investment au Maroc et personne ne veut investir dans leur projet. Ils sont contraints de se rapprocher des Émirats Arabes Unis, de Dubaï et de l’Arabie Saoudite où les financeurs sont conquis, mais où ces derniers se trouvent dans l’impossibilité d'investir directement au Maroc. La seule solution est pour Saif de délocaliser sa solution au Moyen-Orient. Attaché au Maroc et devant les contraintes climatiques et techniques d’une telle relocalisation, il renonce.
C’est finalement avec une enveloppe de 150 000 euros que Saif construit son usine à Meknes. En 2020, ils ouvrent enfin leur atelier. La production et la commercialisation sont lancées. Rapidement, ils passent de 15 000 briques produites par mois à 25 000.
Allier convictions environnementales et contraintes logistiques
En 2022, se pose la question du coût logistique des déchets plastiques. C’est cette problématique qui pousse Saif Eddine à candidater à l’Académie des Talents méditerranéens. Avec une une unité de production éloignée des décharges, les coûts de la matière première, le transport de celle-ci, l'empreinte carbone d’une solution qui se veut fondamentalement écologique devenait trop importante.
“Le transport des matières premières a drastiquement augmenté notre empreinte écologique, nous positionnant en porte-à-faux avec notre ambition environnementale originale. “
Pour corriger cette incohérence, Saif et son équipe doivent délocaliser leur usine, ou du moins, leur processus de transformation. Une nouvelle idée naît alors : la construction d'unités de production de 28m² qui pourraient être installées dans les collectivités de chiffonniers, prêt des décharges, des villes etc… Aujourd’hui, le projet consiste à implanter 4 unités d’ici 2023. Une levée de fonds est également prévue.
L’Académie, un terrain d’expérimentation
Avec l’Académie, Saif a trouvé un environnement propice pour tester son projet d’unité mobile. Les expertises complémentaires de ses collègues, l’expérience des intervenants, l’ouverture d’esprit encouragée par les professeurs, lui ont permis de repositionner son projet dans une démarche méditerranéenne. La rencontre des représentants de pays voisins touchés par les mêmes problématiques l'a également encouragé à envisager l’ exportation de sa solution dans la région. Le cursus lui a permis de changer de regard sur cet espace commun : aujourd’hui Saif Eddine encourage ses pairs entrepreneurs du Maroc, à faire leurs études de marché et leur recherche de financement en Méditerranée, avant de se tourner vers le Moyen-Orient.
“C’est très rare pour un entrepreneur marocain d’envisager la Méditerranée comme un marché potentiel. Habituellement, on s’adresse au Moyen-Orient. Avec l’Académie, j’ai complètement revu ce raisonnement !”
La rencontre des autres Talents à Marseille, lors de la retraite nord du programme, a révélé un dynamisme et une cohésion de groupe innée. Entre collaboration, bienveillance et inspiration, Saif Eddine est reparti des idées plein la tête. Si la clôture du programme approche désormais, Saif Eddine est convaincue que Tunis ne sera pas la dernière occasion pour la cohorte de se voir, car lui a bien l’intention de venir installer ses unités de production sur les rives de la Méditerranée.
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